Histoire de la céramique à Dieulefit – troisième volet

Une activité en constante évolution

L’aventure de la Faïencerie Coursange au quartier Rivales au Poët-Laval, créée par Jules Coursanges en 1889, est exemplaire des nombreuses restructurations que l’activité céramique a dû subir pour survivre. Les premiers essais de porcelaine tendre à l’imitation de St-Uze restant infructueux, c’est vers la production d’une faïence calcaire dite majolique que Jules Coursanges s’oriente avec succès. En 1905, une carte-postale présente l’atelier de moulage de cette fabrique comme celui d’une « Faïencerie artistique », ce qui fixe bien les objectifs de cette entreprise originale tout autant que les conceptions esthétiques de l’époque. Les trois fils de Jules poursuivent la production de pièces estampées et moulées du début puis coulées ensuite : Henri (tué en 1914) est modeleur et crée de nombreux modèles dont certains survivent encore, Maurice prend en charge les aspects techniques et Paul les questions de gestion. La disparition de Maurice en 1938 laisse Paul seul ; il ferme l’établissement en 1939 en mettant 60 employés au chômage.

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Faïencerie Coursange du Poët Laval : productions traditionnelles mais aussi sculpture d’Yvon Soyer


En 1943, Marie-Louise Piolet, Gabriel Barnier, Jules Bel et Marius Thuilier fondent une Société Anonyme pour reprendre le flambeau, redémarrage possible grâce au stock de matières premières heureusement conservées. Quinze années plus tard, cette usine autrefois très spécialisée est devenue une unité de production généraliste : à la fabrication originellement essentiellement coulée est adjointe une production moulée, pressée ou calibrée, décorée au vapo ou au chromo, à caractère utilitaire ou fantaisiste sous la direction de Guy Delmas. L’évolution technologique accompagne tout naturellement ces modifications avec des fours-tunnels de plus en plus performants, l’abandon de la bi-cuisson pour la monocuisson, l’adoption de moules en acier pour le pressage en complément des moules en plâtre pour le coulage, etc.. Un maximal de quelques 130 ouvriers et employés (une soixantaine encore récemment sous la direction de Gérard Verpeaux) faisait de cette entreprise le plus gros employeur du canton de Dieulefit qui a également fait travailler dans les années 1950 les actifs des futures céramistes de la région de René Barnavon à Jacques Pouchain.

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Assiettes festonnées dessinées par Jacques Pouchain pour la faïencerie du Poët Laval illustrant la poterie traditionnelle et plat au décor Poisson


La diversification indispensable des productions (arts de la table, luminaire, accessoires de salle de bain, funéraire, vases et décoration…) associée à la décoration souvent manuelle assure un brassage et un renouvellement constants des hommes comme des idées et des objectifs. Tous les actifs de la céramique ont vécu de genre de trajectoire et traversé les aventures que sait réserver la vie aux entrepreneurs. Après la disparition des entreprises textiles en 1960 et 1969, les gros employeurs du canton étaient restés les entreprises céramiques : la Faïencerie Coursange de Guy Delmas, Terre E Provence d’Alain Mourre et la Poterie du Mont-Rachas de Robin Baer par exemple.

Un renouveau récent

Il faut attendre l’arrivée, vers 1956, de Jacques Pouchain pour que l’activité céramique de Dieulefit se dégage progressivement de l’héritage d’Etienne Noël tout en inversant lentement la courbe décroissante de cette activité à partir des années 1970. Egalement peintre, Jacques Pouchain ouvrira la porte vers d’autres créations céramiques personnelles par la gravure décorative de vases tournés par Henri Buis au début, puis notamment avec une sculpture souvent animalière qu’il tourne ou réalise à partir de plaques.

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Vase au décor rouge et vase-femme de Jacques Pouchain


Renouvelant l’attrait de Dieulefit auprès des céramistes, cette personnalisation créative sera le credo de certains qui feront œuvre de sculpture tels Frank Girard ou Michel Wohlfahrt, dieulefitois d’un temps, ou de Dominique Pouchain plus récemment. Ils font le succès d’expositions temporaires à côté d’autres producteurs plus puissants qui vivent encore très bien de l’héritage d’Etienne Noël ou l’ont profondément remanié, comme René Barnavon à la Poterie des Grottes qui drainait une importante fréquentation sur les rives du Jabron depuis les années 1960.

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A gauche, Troupeau de Dominique Pouchain, fils de Jacques. A droite Le soleil finira par se lever de Frank Girard


Entre ces deux extrêmes, Dieulefit et sa région accueillent une floraison d’ateliers individuels répartis dans l’ensemble du canton, offrant un éventail de productions et de styles d’une très vaste ampleur. Cette activité récente consacre l’efficacité du travail de relations publiques qu’Etienne Noël avait renouvelé en direction des métiers d’art après que les qualités réfractaires de la terre de Dieulefit eussent cessé d’être les ambassadeurs naturels d’une céramique traditionnellement culinaire. Depuis quelques années, la galerie spécialisée Nadia B présente même exclusivement des œuvres en céramique au sommet de la rue des Ecoles ! Mais il est sans doute un peu trop tôt pour écrire l’histoire de ceux qui œuvrent encore…

Frédéric Morin, janvier 2013

Vous pouvez revenir par ce lien au premier volet, et par celui-ci au second…

L’intégralité de l’article original est consultable sur le site de Frédéric Morin et Salomé